La Renaissance en musique, ça commence quand ? Et où ?
« Musique de la Renaissance » désigne la musique produite en Europe entre 1400 et 1600. Comme tous les repères chronologiques, ces dates ont quelque chose d’un peu arbitraire. En histoire de l’art, la question du début de la Renaissance est compliquée, et peut changer selon les disciplines et les pays, sans parler de la chronologie employée en Histoire en général, qui peut être encore différente. En musique, on a choisi des dates qui font un chiffre rond, deux cents ans de musique Renaissance, situés entre le Moyen Âge et le baroque.
Géographiquement, les spécialistes considèrent que le style musical propre à la Renaissance se développe d’abord en Angleterre, avant d’être exporté, à cause de la guerre de Cent Ans, dans le Nord de la France et dans les Flandres. La plupart des compositeurs prééminents du XVe siècle viennent de cette région, il font partie de ce que l’on nomme « l’école franco-flamande ». La Renaissance musicale ne viendrait donc pas d’Italie, mais plutôt d’Europe du Nord, même si très tôt au XVe siècle, les cours et les cités italiennes ont fait venir des artistes franco-flamands.
Pourquoi chanter de la musique de la Renaissance ?
C’est une musique particulièrement intéressante pour un groupe vocal parce qu’aucune voix n’est plus importante que les autres. Chacun a sa propre mélodie qui avance à son rythme, pour produire un ensemble harmonieux, où tout le monde est à égalité. Le directeur musical de l’ensemble écoute et coordonne, mais la voix qu’il chante n’est pas plus importante que les autres. Chanter de la polyphonie est donc très gratifiant pour des chanteurs solistes comme Invocem. C’est comme construire ensemble une cathédrale sonore, pierre par pierre.
Nos oreilles modernes, plus habituées au format « soliste et accompagnement », peuvent être déroutées à la première écoute. Il ne faut pas chercher un fil conducteur mélodique direct, mais plutôt se laisser envelopper par la musique, écouter à la fois le grave et l’aigu et faire vagabonder son oreille d’un détail sonore à l’autre. Comme devant les tableaux géants de Véronèse ou de Michel-Ange, on peut laisser l’œil se poser sur les saynètes individuelles, ou prendre du recul pour embrasser l’ensemble : le spectateur a le choix.
Si chaque voix avance avec un rythme différent, comment peut-on comprendre les paroles ?
Dans la musique de la Renaissance, les paroles sont en effet plus ou moins difficiles à comprendre, même pour des gens qui connaîtraient le latin ou le français ancien. Dans la musique religieuse surtout, l’intelligibilité du texte n’était pas toujours une priorité pour les compositeurs. Particulièrement au début de la période, au XVe siècle, où prévaut l’idée médiévale que la musique est écrite pour Dieu. Ce n’est donc pas grave si des oreilles humaines ne comprennent pas tout. Cela donne de la musique très belle mais très complexe, un peu touffue même. Cette approche change au cours du XVIe siècle. La musique profane, les chansons et les madrigaux, rencontrent un énorme succès à cette époque-là. L’importance croissante de ces genres, où la compréhension du texte a toujours été importante, va avoir une influence sur le style de la musique religieuse. En même temps, les religieux de toutes confessions sont de plus en plus conscients de l’importance de convaincre et toucher les fidèles, et ils demandent aux compositeurs de la fin de la Renaissance d’écrire de la musique sacrée plus facile à saisir. Il subsiste cependant des exceptions, on continue d’écrire des œuvres polyphoniques complexes où le texte passe au second plan derrière la richesse de l’écriture musicale. Bournonville en offre un exemple avec la Missa Dessus le Marché d’Arras, au début du XVIIe siècle, mais il pouvait d’autant plus se le permettre que le texte de la messe latine était très connue, et chantée tous les jours.
Il n’y a que des voix dans la musique à la Renaissance ? Où sont les instruments ?
Il y a énormément d’instruments de musique à la Renaissance, c’est une période d’innovation intense, qui voit l’invention du clavecin, de la viole de gambe, ou encore du basson. Par exemple, sur ce tableau de Hans Memling, il y a de gauche à droite un psaltérion, une trompette marine, un luth, une trompette, une flûte, des chanteurs, une trompette droite, une trompette, un orgue portatif, une harpe, et une vièle.
Pourtant, si on ne considère la musique de cette époque qu’à partir des partitions qui nous sont parvenues, on a l’impression que la musique instrumentale est minoritaire. La plupart des œuvres ont l’air d’avoir été conçues exclusivement pour des voix, mais dans les faits elles étaient tout le temps arrangées pour des instruments. Les compositeurs écrivaient plus rarement directement pour un instrument, parce que la théorie musicale enseignée à l’époque était avant tout conçue à partir de la musique vocale. C’est à tel point que les premiers spécialistes qui ont redécouvert la musique de la Renaissance ont pu croire qu’elle était exclusivement vocale. Aujourd’hui les musicologues ont retrouvé de plus en plus de partitions instrumentales, mais aussi énormément de témoignages sur la pratique instrumentale à la Renaissance, et sur la place de l’improvisation. On est certain que les instruments étaient présents au quotidien dans la vie des musiciens de cette époque, et que l’interprétation vocale a capella, comme le fait Invocem, était une option parmi d’autres.