Missa « Dessus le Marché d’Arras » (1619)

De la pop au pape

La Missa Dessus le marché d’Arras de Jean de Bournonville est une messe-parodie, c’est à dire une messe conçue à partir du matériau musical d’une polyphonie préexistante. Depuis le XVe siècle, pour structurer une composition aussi longue qu’une messe, les compositeurs ont pris l’habitude de réutiliser des thèmes d’œuvres plus courtes. Le choix des œuvres de départ (appelées référents) n’est pas laissé au hasard : cela peut être un chant grégorien associé à un événement particulier, une pièce d’un autre compositeur auquel on veut rendre hommage ou qu’on veut perfectionner. C’est aussi un moyen pour les compositeurs de montrer leur virtuosité, en traitant des thèmes simples de manière plus complexe, ou comme ici en tournant vers le sacré la mélodie d’une chanson profane.

Composer de la musique religieuse à partir de thème populaires était peut-être aussi une manière de donner envie aux paroissiens de venir à la messe et leur permettre de mieux la suivre. Parfois, il pouvait aussi y avoir une allusion politique derrière le choix d’un référent. Ainsi, la chanson Dessus le marché d’Arras, écrite par Adrian Willaert un siècle avant Bournonville, parle avec humour de la présence de l’occupant espagnol dans les Flandres.

Qui est Jean de Bournonville ?

Jean de Bournonville était un compositeur français renommé, actif au début du XVIIe siècle. Né à Noyon vers 1585, il a laissé une empreinte indélébile sur la musique sacrée de son époque. Sa carrière l’a mené de Saint-Quentin à Amiens et finalement à Paris, où il a terminé sa vie en tant que directeur de la maîtrise à la Sainte-Chapelle. Comme beaucoup de compositeurs de sa génération (Aux-Cousteaux, Titelouze), il a participé au renouveau de la musique religieuse en France après les guerres de Religion. Il s’est occupé de composer la musique pour le culte catholique, d’organiser son exécution, et d’en former les interprètes, c’est-à-dire les enfants de chœur.

Ses œuvres étaient reconnues pour leur contrepoint de haute qualité et leur élégance, en particulier dans les messes où il s’est inspiré de chansons populaires, malgré les directives du Concile de Trente. Il est décédé le 27 mai 1632 à Paris, mais son héritage perdure à travers ses compositions et son influence sur d’autres musiciens de son temps. Bournonville n’a jamais été tout à fait oublié, mais il est longtemps demeuré connu des seuls spécialistes. Depuis une vingtaine d’années, il fait l’objet d’une redécouverte sous l’impulsion conjointe de musicologues et d’interprètes de musique ancienne.

De la musique Renaissance au XVIIe siècle ?

Bournonville est contemporain des débuts du baroque. Pourtant dans ses messes polyphoniques il reste proche du style de la Renaissance. Comme beaucoup de ses contemporains, il fait cela délibérément, pour montrer sa culture musicale et son attachement à une certaine tradition. A la manière des maîtres du XVIe siècle, la Missa Dessus le marché d’Arras est composée en exploitant rigoureusement le matériel motivique de la chanson de Willaert. Bournonville cherche à pousser le plus loin possible les techniques de composition de la Renaissance. En interprétant cette musique a capella, Invocem a donc choisi de donner à entendre, dans toute sa complexité polyphonique, ce que cette musique doit à celle qui l’a précédée.